Vivre avec une douleur invisible
Partager mon expérience pour encourager l’empathie
Il y a tout juste un an, j’arrivais à Saint Jacques de Compostelle après avoir parcouru 1600 km à pied. Quelle aventure ! A l’époque, je faisais le bilan dans cet article et en le relisant, je me rend compte à quel point ce chemin m’a transformée, m’a émue. Je n’ai aujourd’hui qu’une envie : repartir.
Mais la réalité n’est pas aussi facile, que ce soit à cause du contexte sanitaire mondial, de ma situation économique après 6 mois d’inactivité mais surtout à cause de ma condition physique. Radio et écho à l’appui, le diagnostic est tombé : j’ai une épine calcanéenne et probablement une inflammation de l’aponévrosite plantaire. Bref, j’ai des douleurs intenses dans le talon droit, et ce depuis 13 mois. Je ne suis toujours pas capable de marcher plusieurs heures sans boiter, sans devoir m’arrêter. C’est comme si on m’enfonçait un clou dans le pied à chaque pas. Une douleur invisible aux yeux des autres mais tellement réelle pour moi. Une douleur que maintenant je me permets d’appeler ‘handicap’ puisqu’elle fait partie de ma vie et m’oblige à adapter mon quotidien.
En novembre dernier, j’écrivais : « Au fur et à mesure, la douleur a pris corps en moi, je l’oubliais presque, je transformais ma démarche pour l’éviter et elle a fini par faire partie de moi. »
Aujourd’hui, je suis obligée de limiter mes déplacements, de porter des tennis confortables (et souvent moches, il faut le dire), de m’arrêter pour m’étirer régulièrement et souvent sur des bouts de trottoir, de ne pas faire de sports à impact (je n’ai droit qu’au vélo et à la natation), de ne pas envisager des balades dans Paris, de demander honteusement une place dans le métro alors que j’ai l’air en pleine forme, de me voir perdre du muscle et prendre du poids, de demander à mes amis de venir me voir plutôt que d’aller à eux (merci à vous !!!!), de parfois annuler une activité car la douleur est trop forte, d’optimiser tous mes déplacements pour les raccourcir au maximum (au mètre près), de passer plusieurs heures par semaine entre différents rendez-vous médicaux, de prévoir un budget pour les médecines alternatives, de dire régulièrement « j’aurais adoré mais je ne peux pas, ça va me faire mal », d’y aller quand même et de souffrir affreusement ensuite, de ne plus croire qu’un jour je marcherai normalement à nouveau, de perdre espoir ce qui impacte ma relation aux autres, d’en vouloir à mon corps, d’être en colère contre ces blogs où les gens racontent comment ils ont guéri en deux mois, de m’en vouloir d’avoir continué St Jacques malgré la douleur, puis finalement d’assumer la douleur et de ne pas regretter d’avoir continué à marcher et vivre une magnifique aventure, de recevoir 8000 ondes de choc par semaine dans le talon (l’équivalent d’un marteau-piqueur qui vous attaque le pied), d’avoir mal au dos, au bassin et au pied gauche à force de surcompenser, d’avoir le pied droit gelé à force de le glacer, de sourire en formation alors que j’ai envie de pleurer, de m’ouvrir aux autres sur ce que je vis et d’avoir de très belle conversations authentiques avec des participants… Bref, aujourd’hui ma vie tourne autour de mon talon et de la mise en place d’une stratégie d’évitement de la douleur.
Parfois je veux crier ma douleur. Et en même temps, je ne veux pas qu’on me prenne en pitié. Au début, quand les gens oubliaient que j’avais mal et me proposaient des activités que je ne peux plus faire, j’étais peinée par leur manque d’empathie. Je n’étais pas reconnue dans mon handicap. Aujourd’hui, quand les gens prévoient des activités accessibles pour moi, je reconnais leur gentillesse mais ne peux m’empêcher de penser que maintenant, cette douleur fait partie de moi à leurs yeux aussi.
Ça la rend plus réelle encore. Ça lui donne de l’importance. Ça la place au cœur de ma vie, au cœur de mes interactions avec les autres.
L’an dernier j’écrivais : « Je suis aujourd’hui reconnaissante de l’expérience de cette douleur : sans elle, je ne sais pas si j’aurais expérimenté autant de solidarité, autant de bonté pure, autant de lâché-prise dans ma vulnérabilité. Sans elle, je n’aurais peut-être pas compris que l’Amour ne demande rien en retour, il donne tout simplement. ».
Je crois que j’ai compris. C’est bon, j’ai été vulnérable. J’ai compris que j’ai une chance incroyable d’avoir la famille et les amis que j’ai. Encore MERCI MERCI MERCI à vous pour votre soutien sans faille. Vous êtes incroyables. J’ai compris que mon corps a besoin de repos, qu’il faut s’écouter, qu’il faut accepter l’aide d’autrui. Voilà, j’ai compris. Peut-on maintenant passer à une autre leçon de vie pleeeeassssse ?
En un an, j’ai tout fait pour me soigner. Des injections dans le talon, des séances d’ostéopathe, des semelles orthopédiques que je porte tous les jours, l’achat de chaussures à semelles compensées, de l’acupuncture, des ventouses, du reiki, des prières, des séances d’énergéticiennes, du glaçage, des cataplasmes d’argile verte, des massages, des huiles essentielles, un repos total de deux mois pendant le confinement, des anti-inflammatoires, des cures d’homéopathie, une bonne hydratation, des étirements, porter des pierres minérales sur moi, de la natation, des ventouses scarifiées (pour enlever le mauvais sang et les toxines…), du travail sur mes chacras, des bains de pied, des ondes de choc, des séances de kiné… Je crois que j’ai tout testé. Dans la médecine traditionnelle et dans la médecine alternative. Il y a eu des moments de mieux. Il y a eu des moments de désespoir. Il y a eu des rencontres avec des médecins où je suis sortie en pleurant, n’étant ni écoutée ou reconnue dans ma douleur, ni aidée pour aller mieux. Il y a une immense gratitude pour le système médical français qui nous permet d’accéder à des soins à moindre coûts.
Et puis il y a eu la rencontre de deux médecins incroyables que j’aimerais ici remercier chaleureusement. Tout d’abord ma podologue de Toulouse, qui a su, par son énergie, enthousiasme et professionnalisme me donner espoir, me créer des semelles adaptées, et me voir et revoir avec l’idée que tant que je ne suis pas guérie, je reviens autant de fois chez elle qu’il le faut, sans frais supplémentaires. Grâce à l’efficacité des semelles, ou par effet placebo peut-être, la douleur a disparu pendant 3 semaines après l’avoir vue la première fois.
Plus récemment, c’est mon kiné qui m’a fait croire qu’il était possible que je guérisse un jour. Lors de notre premier rendez-vous, il m’a dit : « Je sens que vous souffrez beaucoup, on va tout faire pour que ça s’arrête ; il est temps de vivre à nouveau Marianne. » J’en ai eu les larmes aux yeux. Un petit bout de phrase qui résume un an de galère. La douleur et l’envie de vivre normalement. En plus de sa posture incroyable, mon kiné est aussi litho-théarapeute (études des pierres), ostéopathe et il croit aux énergies, au lien corps et esprit. En onze séances, j’ai déjà pu voir les effets positifs, je ne stresse plus à l’idée de devoir marcher un peu et je passe presque une heure par jour à prendre soin de mon corps.
Je rajouterai ici l’importance du soutien moral et physique de Nathalie, une masseuse hors pair que je vais voir mensuellement depuis 3 ans. Par sa bonne humeur et ses doigts de fée, elle aussi m’a transmis un peu d’espoir et de soulagement de la douleur. Un bien-être non médicalisé mais tellement indispensable !
L’an dernier j’écrivais : « Grâce {aux autres}, ma force mentale a pu prendre le dessus sur ma douleur physique. ».
Je voulais partager cette histoire car cette situation de douleur invisible ou handicap invisible, c’est près de 5 millions de personnes en France qui le vivent au quotidien*. Et quelque part, nous sommes toutes et tous concernés, puisqu’il faut savoir que 85 % des handicaps sont acquis au cours de la vie. Alors, si quelqu’un qui a l’air en bonne santé vous demande votre place dans le métro, ne le jugez pas sur son apparence et si vous le pouvez, donnez-la-lui. Si vous avez un proche ou un collègue qui souffre en silence, n’hésitez pas à lui proposer d’en parler, de reconnaitre sa souffrance, d’adapter vos modes d’échanges ou de travail pour l’accommoder, car je l’ai découvert sur le chemin : « Une douleur partagée est divisée par deux. ».
Je ne suis pas encore guérie, je suis en chemin et j’ai espoir. Cela prendra le temps qu’il faudra mais je visualise déjà une future balade dans le quartier, une partie de tennis, un footing du matin, une tenue robe et talons pour être belle ou repartir pour une longue randonnée, tout simplement.
Merci pour votre lecture !
Je me permets aussi ici de rajouter quelques informations sur le sujet du handicap invisible que j’ai trouvé pertinentes** :
· Le handicap invisible est un handicap non détectable, qui ne peut pas être remarqué si la personne concernée n’en parle pas. Le trouble dont elle souffre impacte pourtant sa qualité de vie.
· La reconnaissance est la difficulté majeure rencontrée par ces personnes handicapées. L’absence de manifestations physiques visibles comme par exemple un fauteuil, engendre bien moins de sympathie à leur égard. Cette non reconnaissance de son handicap par son entourage peut affecter sa santé mentale : l’incompréhension et le manque d’indulgence des personnes qui les entourent peut causer une grande détresse psychologique chez les personnes atteintes d’un handicap invisible.
· De plus, le handicap invisible peut poser des problèmes lors de la vie en société ou dans les relations avec les autres. Une personne stationnée sur une place réservée aux personnes en situation de handicap qui semble pouvoir se déplacer normalement sera critiquée par les passants. Cependant, elle souffre peut-être d’une maladie chronique qui l’empêche de marcher sans être très vite fatiguée. C’est la même chose pour une personne utilisant les toilettes handicapé alors qu’elle n’est pas à mobilité réduite : peut-être souffre-t-elle de problèmes digestifs qui l’obligent à les utiliser en urgence.
· Engager le dialogue sur la souffrance vécue par la personne en situation de handicap invisible permet de mieux la comprendre et de faire preuve de plus d’indulgence sur la douleur qu’elle vit au quotidien.